Entre Deux Chansons de Guignolée.

Une nouvelle qui change tout.

Paulin Larose, 30 décembre 1853, apprenti cordonnier

Chers amis du futur,

En cette veille du Nouvel An, j'ai le cœur rempli de tant de choses que je me devais de vous les partager. La nuit dernière, nous étions une belle bande de jeunes à courir la guignolée pour amasser des provisions pour les familles dans le besoin. La neige crissait sous nos pieds, nos lanternes dansaient dans la nuit et nos rires se mêlaient au son du violon de mon bon ami Thomas.

Il y avait là Henri-Firmin McLean, qui chantait nos chansons françaises avec un entrain communicatif, et il y avait surtout Clothilde Marchand. Chaque fois que son regard croisait le mien, j'avais l'impression que l'hiver devenait soudainement moins froid. Nous allions de porte en porte, entonnant à tue-tête : « La Guignolée, la Larmignonne ! » et les portes s'ouvraient sur des sourires. Les sacs se remplissaient de lard, de farine et de quelques gâteries pour les enfants. C'était une soirée de pure joie, comme je les aime.

Puis, chez les Beaulieu, après nous avoir offert un verre de cidre chaud pour nous réchauffer, M. Alcide Beaulieu nous a regardés, l'air grave.

« Alors, les jeunes, a-t-il dit. Vous chantez pour les traditions, mais savez-vous que la plus grande de nos traditions va bientôt disparaître ? La nouvelle est arrivée de la ville. Le gouverneur a signé la loi. Dans moins d'un an, à la mi-décembre 1854, il n'y aura plus de seigneur ni de censitaires. »

Un silence est tombé sur notre groupe. Nous le savions, bien sûr, que ça s'en venait. Mais d'entendre une date précise, ça rendait la chose terriblement réelle.

Sur le chemin menant à la censive suivante, les chansons se sont tues un moment. C'est Henri-Firmin qui a parlé le premier.

Henri-Firmin McLean : « Mon père dit que c'est une bonne chose. Devenir propriétaire de la terre qu'on travaille, c'est le rêve de tout homme. Ce sera dur, il faudra payer, mais la terre sera à nous. Vraiment à nous. »

Clothilde Marchand a resserré son châle autour d'elle. Sa voix était plus songeuse. « Au magasin de mes parents, on entend autre chose. Certains ont peur. Payer ? Mais avec quoi ? Est-ce que les familles vont s'endetter pour des générations ? Le changement est une belle chose, mais il me fait un peu peur aussi. »

Je la comprenais. Mon père, dans son échoppe de cordonnier, dépend de la santé des fermes. Si les habitants ne peuvent plus se payer des bottes neuves, et s'il ne peut plus louer ses bras pour les moissons, comment allons-nous vivre ? J'ai pris mon courage à deux mains.

« Peut-être que ça fait peur, lui ai-je dit. Mais c'est à nous, notre génération, de bâtir ce qui viendra après. On ne sera plus les censitaires de M. Prologue, mais les voisins de la famille Prologue. On va devoir s'entraider encore plus fort qu'avant. Cette guignolée ce soir, c'est la preuve qu'on sait le faire, non ? »

Elle m'a adressé un petit sourire, avant de se retourner pour écouter ce que Henri-Firmin lui disait à l'oreille. Nous avons repris notre chemin et nos chants, mais quelque chose avait changé. Ce n'était plus seulement des chansons du passé que nous entonnions. C'était comme si, entre chaque couplet, nous fredonnions déjà l'air d'un avenir que nous allions devoir écrire nous-mêmes.

Je ne sais pas ce que cet avenir nous réserve, mais je sais que je veux le construire ici, à Prologue, avec des gens de cœur.

Joyeux temps des Fêtes à vous tous, Paulin Larose, apprenti cordonnier et chef de bande.

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