Un calcul décourageant....
Aurigène Lemieux, 15 novembre 2025
Lorsqu'on arrive sur la terre des Beaulieu, ce qui frappe n'est pas l'opulence, mais l'ordre et la propreté. C'est une ferme qui respire le travail bien fait, où chaque objet est à sa place et chaque parcelle de terre est exploitée au maximum de son potentiel.
La Terre : La censive des Beaulieu est de taille standard, soit environ 90 arpents (environ 30 hectares). Grâce au travail acharné de Marie-Louise et Alcide, ils ont réussi, au fil des ans, à défricher et à rendre cultivables près de 40 arpents. C'est une belle réussite, supérieure à la moyenne. Le sol est de bonne qualité, parfait pour la culture du blé, de l'avoine, des pois et des pommes de terre pour nourrir leur famille et leurs bêtes. Un potager bien entretenu près de la maison témoigne de la main experte de Marie-Louise.
Les Bâtiments : Les dépendances sont modestes mais solides et parfaitement entretenues.
La Maison : Construite en pièce sur pièce, elle est simple mais chaleureuse. Le toit est en bon état et la cheminée en pierre ne fume pas. C'est un foyer propre, au cœur de l'exploitation.
La Grange-Étable : C'est la fierté d'Alcide. Assez grande pour abriter leurs quelques vaches laitières, une paire de bœufs de labour, quelques cochons et la volaille, elle permet aussi de stocker le foin pour l'hiver à l'abri des intempéries.
Le Hangar : Un appentis solide protège la charrette, la charrue et les quelques outils précieux de la famille.
L'Évaluation de la Propriété 📝
En 1855, au moment où Donald Laprise doit "capitaliser" les rentes, la valeur de la ferme des Beaulieu ne réside pas dans le luxe, mais dans sa productivité et le travail investi.
Valeur Brute (Terre et Bâtiments) : Compte tenu de la superficie cultivée, de la qualité des bâtiments et de la bonne réputation de la ferme, un acheteur potentiel serait prêt à payer une somme considérable. La valeur marchande totale de la ferme des Beaulieu peut être estimée à plus de 1 000 piastres. Mais les Beaulieu ne sont pas intéressé à vendre leur terre, c'est leur passion. Et c'est ce qu'ils savent faire de mieux.
La Rente Annuelle des Beaulieu en Piastres
Pour obtenir la valeur totale, il faut additionner la valeur de chaque obligation : l'argent (cens), les biens en nature (rentes) et le travail (corvée).
Le Cens (en argent) :
Le contrat stipule 60 sols.
À cette époque, il y a 20 sols dans une livre. La "livre" est l'ancien nom que les gens utilisaient souvent pour désigner la "piastre" (le dollar).
Calcul : 60 sols / 20 = 3 livres.
Valeur : 3 piastres
Les Rentes (en nature) :
Le contrat exige deux chapons vifs et gras.
Un chapon (un coq castré et engraissé) était un produit de luxe. Sa valeur pouvait varier, mais une estimation juste pour un bon chapon est de 50 sous (ou une demi-piastre).
Calcul : 2 chapons x 0,50 piastre = 1 piastre.
Valeur : 1 piastre
La Corvée (en travail) :
Le contrat demande trois journées de corvée, mais il offre une option de rachat en argent, ce qui nous donne sa valeur monétaire exacte.
Le rachat est fixé à 40 sols par jour.
Calcul : 3 jours x 40 sols = 120 sols.
Conversion en piastres : 120 sols / 20 = 6 livres.
Valeur : 6 piastres
Le Total Annuel
En additionnant le tout, on obtient la valeur totale que les Beaulieu doivent au seigneur chaque année :
3 piastres (cens) + 1 piastre (rentes) + 6 piastres (corvée) = 10 piastres par an
Cette somme de 10 piastres est la valeur de leur "vache à lait magique". C'est sur ce montant que sera basé le calcul final pour le rachat de leur terre. Au taux de 6%, le capital à racheter pour les Beaulieu serait donc d'environ 167 piastres, une somme considérable et décourageante que les Beaulieu ne possède pas.
Ils devront donc probablement se résigner à payer la rente constituée de 10 piastres par an, à perpétuité. Leur rêve de devenir pleinement propriétaires est encore loin, et cette nouvelle "liberté" a le goût amer d'une nouvelle dette. Pour eux, la loi est une déception, une reconnaissance de leur travail qui s'accompagne d'un fardeau financier qu'ils transmettront à leurs enfants.
Aurigène Lemieux, 2025