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Les feuillets de Janda



Coup de tête


Devenue la coqueluche de la ville, adulée et choyée par les riches et les puissants, je pris le goût du lucre et me laissai entraîner sur la pente de la frivolité. Soudoyée par des commerçants habiles, je décidai de mettre fin à mon association avec monsieur Zaleski dans le but de créer mon propre cabaret. Malgré un train de vie désordonné, j’avais réussi à mettre de côté une somme rondelette que je confiai à un trio de jeunes hommes qui devaient acquérir, en mon nom, un bâtiment propice à ce genre de commerce. Ils étaient si distingués et semblaient si respectables que je crus inutile de sceller notre entente devant un homme de loi.


Sans nouvelles d’eux depuis quelques semaines, je commençai à m’inquiéter. Après bien des démarches, j’appris qu’ils avaient quitté la ville. Personne ne pouvait me dire la destination qu'ils avaient prise.

Effondrée par ce coup du sort, je sombrai dans un profond état de neurasthénie. Je restais au lit tout le jour, à moitié ivre, croyant trouver dans l’alcool un soulagement à ma rage et à ma douleur. Ma santé déclina rapidement si bien qu’un jour je me rendis compte que j’étais incapable de me lever et de marcher. Je dus le salut à une amie qui, étonnée de ne plus me voir dans les lieux que je fréquentais habituellement, me rendit une visite impromptue. Il fallut des semaines de soins affectueux de sa part pour que je reprisse des forces et un peu de goût à la vie.

Criblée de dettes, je dus vendre, pour subsister, mon luxueux appartement et tous les biens que je possédais, meubles, vêtements et bijoux. Je m’installai dans une chambrette modeste en attendant de me trouver du travail.

Ayant connu l’aisance et la célébrité, j’avais de la difficulté à me résoudre à occuper des emplois que je trouvais déshonorants. Rassemblant mon courage, je décidai de faire une démarche auprès de monsieur Zaleski, le bienveillant associé qui m’avait permis de faire fortune. Il refusa d’abord de me recevoir. Mais comme ses affaires avaient considérablement périclité depuis mon départ, il finit par accepter, quoique de fort mauvais gré, de me rencontrer. Je parvins alors à le convaincre de me prendre à l’essai comme animatrice des spectacles qu’il continuait de présenter à sa clientèle. Le salaire qu’il m’offrit était minable, mais j’avais au moins la consolation d’aimer ce travail.

Ma réputation permit à monsieur Zaleski de retrouver une partie de la clientèle qui avait déserté l’établissement après mon départ. Mais la réputation de ce dernier avait pâli au profit de concurrents qui s’étaient multipliés entre-temps.

Au moment où j’écris ces lignes, les affaires sont bonnes sans plus.

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