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La mise en place du système municipal au QuébecPar Hugues Provost |
De quelle façon, et quand dans notre histoire, le système municipal du Québec s'est-il mis en place? Nous verrons, dans les pages qui vont suivre, l'évolution de l'administration locale et régionale à partir de la fondation de la ville de Québec en 1608 jusqu'à l'adoption de la loi de 1855 qui créait notre régime municipal.
Sous le Régime français, c'est-à-dire de 1608 à 1760, il n'y a pas d'institutions municipales. En effet, la Nouvelle-France est gérée, comme sa métropole, la France, par un gouvernement autoritaire et centralisateur. Puisqu'il y avait peu de gens dans la colonie, il n'y avait pas d'autorité locale pour s'occuper de la police, de la justice et de la voirie. Pour s'occuper de ces choses, et de l'administration civile de toute la colonie, il y avait l'Intendant. Ce dernier avait des fonctions et des pouvoirs semblables à ceux des maires et échevins d'aujourd'hui. À partir de 1675, un Grand-Voyer fut nommé pour s'occuper de la voirie, c'est-à-dire de la construction et de l'entretien des chemins et des ponts de la colonie. Cet administrateur, dépendant du gouvernement central, voyait aussi à la construction dans les villes et à la pose des clôtures à la campagne.
Bien que le gouvernement de Québec s'occupait de tout, on a quand même tenté, sous le Régime français, de créer des administrations dans les villes et villages. En 1663, le Conseil souverain (le gouvernement) permet l'élection d'un «corps de ville» (c'est-à-dire, à peu de chose près, un conseil municipal) à Québec. Ce dernier fut supprimé 36 jours plus tard par le gouvernement qui le considérait inutile, en raison de la faiblesse de la population et l'absence de services publics à gérer. Mais ce n'était pas l'avis de tous les gens. Il y aura par la suite une autre élection en 1673, mais ce nouveau «conseil» fut une fois de plus aboli en 1677. Montréal et Trois-Rivières connurent des choses semblables, avec les mêmes résultats.
En Nouvelle-France, il n'y eut donc pas vraiment de gouvernements locaux et régionaux. Pour les gens, il y a quand même des divisions régionales. Il s'agit des seigneuries et des paroisses catholiques. Ces dernières entités ne sont que des divisions territoriales à cette époque, mais elles auront une importance dans la mise en place prochaine du système municipal.
Après la Conquête de 1760, la Nouvelle-France passe aux mains des Anglais et prend le nom de Canada. La situation de l'administration, quant à elle, ne change pas. En 1791, l'Acte constitutionnel, en plus de diviser la colonie en deux (le Haut et le Bas-Canada), officialise la tenure en «franc et commun soccage» (façon anglaise de diviser les terres à distribuer aux colons). L'acte instaure aussi le système des «townships» (cantons), qui remplace le système seigneurial pour gérer les futures terres à concéder. Les townships, qui ne sont pas des entités administratives, seront, avec les paroisses dont nous avons parlé précédemment, les bases des futures entités administratives locales.
Outre cette nouvelle façon de distribuer les terres, les Anglais n'apportent que peu de changement. Les Grands-Voyers, toujours en fonction, s'occupent comme avant d'améliorer les voies de communication. En 1799, les villes de Québec et de Montréal, à cause de leur population importante, sont formées en districts séparés. La justice de ces villes est sous la charge de « juges de paix » de 1793 à 1831, année où, suite aux pétitions des habitants devenus très nombreux, Montréal et Québec obtiennent le statut de cité. Elles sont désormais divisées en quartiers, avec deux conseillers élus dans chacun d'eux pour former le conseil municipal. Celui-ci a le pouvoir d'emprunter et de réglementer les finances municipales, la salubrité, les services d'égouts et d'aqueducs, la police, l'éclairage, les marchés, etc.
À la campagne, des lois en 1818 et 1832 permettent la naissance de quelques administrations de village avec des pouvoirs restreints. Mais celles-ci, tout comme les conseils municipaux de Montréal et Québec, disparaîtront à cause des rébellions de 1837-1838. Ces troubles auront cependant un effet positif pour la mise en place du système municipal du Québec via le Rapport Durham.
En effet, suite aux rébellions, le gouvernement de l'Angleterre envoie dans la colonie un nouveau gouverneur, Lord John George Lambton Durham. En plus de ses fonctions administratives, il a pour mission d'enquêter pour trouver les causes des troubles et de suggérer des solutions pour y remédier. C'est suite à son célèbre rapport, dans lequel il critique sévèrement l'absence d'institutions municipales et l'inefficacité de l'administration centrale, que le système municipal fut mis en place.
Pour bien comprendre l'importance du Rapport Durham sur le développement du système municipal, voyons-en quelques extraits. Dans la partie traitant des «maux du Bas-Canada», il dit ceci de l'absence d'institutions municipales:
Le Bas-Canada demeure sans institutions municipales de self-government local, qui sont le fondement de la liberté et de la civilisation anglo-saxonnes. Cette absence n'est d'ailleurs compensée par rien qui ressemble à la centralisation de la France.
Durham explique ici que le gouvernement central inefficace n'a pas pu compenser l'absence des municipalités dans l'administration de la colonie. Plus loin dans son rapport, il donne les conséquences de l'inexistence des administrations municipales:
On peut considérer comme une des causes principales de l'insuccès du gouvernement représentatif et de la mauvaise administration du pays l'absence totale d'institutions municipales [...] Par malheur, les habitants du Bas-Canada furent initiés au gouvernement responsable justement par le mauvais bout; des gens à qui on ne confiait pas le gouvernement d'une paroisse purent par leurs votes influencer les destinées d'un État.
Dans sa conclusion, Durham énonce clairement l'importance de la mise en place des institutions municipales. Il explique que, pour limiter le pouvoir d'un État et le rendre efficace, il faut diviser ce même pouvoir entre divers niveaux de gouvernement: central, régional et local. Suite à cette recommandation, les dirigeants de la colonie annoncent la mise en place du système municipal.
Dès 1840, une première loi municipale est adoptée par le gouverneur Sydenham et le Conseil spécial (qui remplace le Conseil souverain et ses membres élus après les rébellions). Désormais, les paroisses et les townships ayant plus de 300 habitants seront érigés en «corporation municipale». Ces dernières sont menées par l'assemblée des habitants ayant à sa tête un «préfet» nommé par le gouverneur. De plus, la loi crée des districts municipaux (divisions régionales administratives) réunissant les diverses paroisses et townships. Chaque district possède un conseil, formé de deux élus par paroisse ou township. Ces conseils s'occupent, sous l'oeil du gouverneur pouvant renverser leurs décisions, de la construction et de l'entretien des édifices publics, de la police et de la voirie. Bien entendu, ils ont aussi le pouvoir de prélever les taxes nécessaires pour assurer les services mentionnés. Montréal et Québec, pour leur part, obtiennent les mêmes choses, mais avec un pouvoir un peu plus grand en raison de leur importance.
Dans la population, le Rapport Durham et cette loi de 1840 sont très mal reçus. Les gens refusent de payer les taxes et considèrent que le gouverneur possède un trop grand pouvoir sur les municipalités. De plus, les districts régionaux, ne correspondant à aucune division connue du peuple, sont particulièrement contestés.
Suite à la réaction du peuple, la loi de 1840 et remplacée par une autre en 1845. Les districts sont abolis et les paroisses, les townships et les villages deviennent des municipalités. Ces dernières reçoivent plus de pouvoir qu'en 1840 et le gouverneur perd le contrôle qu'il avait sur elles. Un conseil municipal est élu dans chaque municipalité pour s'occuper des affaires locales.
Une fois de plus, la loi n'est pas appréciée de tous. Le peuple accepte mal qu'on veuille lui dire comment gérer ses affaires. Certains ne veulent rien de moins que l'abolition du système municipal. D'autres favorisent la mise en place d'institutions plus régionales que locales.
Pour répondre à la critique du peuple, la loi de 1845 fait place à une nouvelle loi en 1847. Cette dernière met en place les municipalités régionales, proposées par une partie de la population, pour remplacer celles de paroisse et de township. Pour ce qui est des corporations de ville et de village, la situation ne change pas. On retrouve donc 46 municipalités de comtés (entités régionales) qui remplacent 320 municipalités locales qui avaient été mises en place deux ans plus tôt. Pour ce qui est du fonctionnement, chaque comté est mené par un conseil élu pour deux ans. Ce dernier est formé de deux conseillers par paroisse ou township du comté et dirigé par un maire nommé par et parmi les conseillers.
Le peuple, fatigué de tous ces changements de loi, est complètement désintéressé. Les gens ne forment les conseils municipaux que parce qu'ils y sont forcés par les autorités. Mais, malgré tout, l'idée des institutions municipales fait son chemin dans la tête des habitants. C'est d'ailleurs la proposition de l'un d'eux, Louis-Hyppolite Lafontaine, qui deviendra une loi en 1955.