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Les éditions Gonzague


Chapitre I


Quand il arriva chez lui, sa mère et son père dormaient profondément dans leur chambre. Sa mère vint lui ouvrir après quelques minutes. Elle avait les yeux cernés et les cheveux défrisés et parut très surprise de le voir aussi matinal.

— Mon Dieu, que nous vaut cette belle visite? Un mardi matin!

Elle regarda dehors, le soleil dormait encore.

— Entre, va t’asseoir, juste le temps d’aller préparer un peu de thé.

Cette maison lui rappelait son enfance. Au fond, les plus hautes étagères étaient mal fixées au mur de planches et les articles disparaissaient dans l’obscurité poussiéreuse.

Quelques minutes plus tard, sa mère revint avec deux tasses dans les mains. Elle était plus mince que dans ses souvenirs, et une masse de cheveux blancs avait remplacé son épaisse chevelure noire de jais. Mais elle avait toujours le même regard de jeune femme.

— Maman, écoute-moi! Je pars demain en voyage, pour Grande-Baie. Je suis venu vous faire mes adieux à toi et à papa.

Sa mère avait l’air stupéfaite et le regardait avec de grands yeux ronds.

— Alexandre, tu as toujours eu le tour de réveiller brusquement les gens, dit-elle en roulant des yeux furibonds. Alors, tu pars! As-tu pensé à ta femme?

— Elle a pris sa décision, elle retourne vivre chez ses parents. Maman, je suis tellement content, malgré ces inconvénients.

Il parla longtemps avec elle. Elle était bien triste, mais elle le soutenait, comme toujours. Ses yeux étaient tristes, affectueux et remplis de réconfort et de chaleur familiale. Les adieux avec son père furent aussi très déchirants. C’est avec une pointe d’amertume qu’il se retourna une dernière fois avant de monter dans sa carriole. Ils lui manqueraient tous.

Enfin, le grand jour arriva. Ses bagages étaient prêts depuis déjà longtemps. Sa femme était partie la veille, elle détestait les adieux. Elle reviendra plus tard chercher ses effets personnels. Alexandre était donc seul. Vers cinq heures trente, il enfila ses bottes et ferma la porte à clé et partit.

Chemin faisant il regardait défiler les paysages colorés de ces derniers jours d’été. Tout baignait dans la solitaire splendeur automnale. Il faisait frais dehors et une odeur de poisson, poussée par le vent, parvint jusqu’à lui. Il longea le fleuve sur la petite route cabossée tout en écoutant les gazouillis des oiseaux. Le voyage dura trois jours. Il s’arrêtait quelques heures sur le bord de la route pour dormir et se reposer, le temps que le soleil lui montre à nouveau le chemin. Une couverture de bison le protégeait des fraîcheurs de la nuit.

Il aperçut le lac des Deux-Montagnes à l’aube du quatrième jour. De petites maisons, dispersées çà et là tout autour du lac, confirmèrent qu’il approchait. Un paysan lui indiqua la direction à suivre pour retrouver le quai de Grosse-Roche-Grise.

Quelques minutes plus tard, il arriva sur le quai qui flottait sur l’eau calme du lac, enveloppé des brumes de ce matin d’automne. Il était rempli de gens. Des femmes, des enfants, les larmes aux yeux, la gorge sèche regardaient un groupe d’hommes qui discutaient ensemble. Il avança vers le quai, puis s’arrêta, il tourna le dos au lac et à tous ces gens. Il respira, dans le petit matin, l’odeur des épinettes.

Plusieurs regards s’étaient posés sur lui pendant qu’il avançait, de reculons, vers le groupe d’hommes. Ils arrêtèrent de parler pour l’observer. Alexandre se retourna et fit face au groupe. Il avait fière allure, dans la vingtaine, solide, sans chair inutile et l’air courageux. Une force surprenante se dégageait de son regard. Il était brun, grand et avait les épaules larges. Ses cheveux frisés et ses grands yeux noirs ne cachaient pas son petit nez légèrement retroussé.

— Bonjour, je m’appelle Alexandre Marchand.

— Salut, dit un homme à l’allure frivole en lui tendant une main nerveuse et moite, je m’appelle Gaston Talbot, lui c’est Jameson Brownell. C’est son premier voyage tout comme toi.

Ils rirent tous en coeur. Il avait une voix faible et un peu basse et était affublé de tics nerveux qui lui faisaient bouger la tête sur le côté. Cela lui donnait un air plutôt bizarre.

— Taisez-vous! Moé c’est Koernellius Crieghoff, chu le conteur de la troupe de zouaves qu’il y a devant toé. Lui, c’est Joseph-Charles Taché. Voilà Albert Grégoir pis, lui, le p’tit coincé, c’est Frédéric Livernois.

Il parlait en pointant du doigt les hommes un après l’autre. Tous ces visages étaient nouveaux pour Alexandre. Il devrait vivre avec eux durant quelques semaines. Peut-être s’embarquait-il dans une aventure impossible?

Quelques minutes plus tard, le signal du départ fut donné, il était temps de partir. Les regards tristes et les larmes séchées firent place à l’ivresse de l’aventure.

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