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Le voyage d'Ovide Polansky



Un rêve pour un cauchemar


Après quelques jours de repos, Janda allait mieux. Ses blessures se refermaient lentement. Un moment, j'avais craint le pire, car sa jambe avait considérablement enflé. Une nuit, elle avait eu un accès de fièvre tellement violent qu'elle s'était mise à délirer. Je la soignais du mieux que je pouvais avec des plantes que je trouvais autour de la cabane. J'appliquais des feuilles de plantain sur ses chairs écorchées pour réduire l'enflure et hâter la cicatrisation. Je lui faisais des tisanes d'herbes à mille feuilles qui avaient la propriété, selon ma mère, d'apaiser la fièvre et de purifier le sang.

Nous nous nourrissions de poissons frais que j'allais capturer, chaque matin, avec le filet que j'avais trouvé dans la cabane. Je les faisais cuire sur le foyer dans la graisse de petits morceaux de saucisson que Janda avait eu le temps de chaparder à la ferme. Je complétais notre menu avec les racines de certaines espèces de fougères, des gousses d'ail des bois, des champignons sauvages et des feuilles de pissenlits. À quelques reprises, je réussis à attraper un lièvre ou un canard que j'apprêtai avec des feuilles de menthe, au grand plaisir de la gourmande Janda qui n'en finissait plus de s'en lécher les doigts.


Nous vivions si tranquilles et si heureux sur notre île que nous ne pouvions nous décider à la quitter. Chaque jour nous faisions le projet de partir, mais le lendemain, sous un prétexte quelconque, nous remettions notre départ. Plus d'un mois s'était ainsi écoulé depuis la pénible nuit de notre arrivée. Notre projet de nous rendre à Gdansk s'évanouissait peu à peu.

Un matin, alors que j'étais descendu sur la rive pour tendre mon filet, j'aperçus trois hommes étendus près d'un feu de bois dont les braises fumaient encore. Ils portaient les tuniques des soldats de l'armée russe. Leurs armes, de longs fusils, étaient appuyées à un arbre, tout près d'eux. Retenant mon souffle, je pris la direction de la cabane avec des précautions d'animal traqué, mesurant chacun de mes pas pour éviter de faire le moindre bruit. Je réveillai Janda en lui mettant une main sur la bouche et en lui faisant comprendre, par des signes, qu'un grand danger nous menaçait. Quelques minutes plus tard, munis de quelques affaires et d'un peu de nourriture que j'avais enroulées dans une vieille couverture, nous filions retrouver notre embarcation bien dissimulée sous un amoncellement de branches.

Nous eûmes juste le temps de la mettre à l'eau qu'une balle siffla à faible distance de nos têtes. Je ramai avec l'énergie du désespoir pour gagner le courant. D'autres balles fusèrent, dont l'une transperça la coque, ratant de peu Janda, recroquevillée au fond de la barque. Pendant de longues minutes, les cris et les vociférations des trois hommes nous poursuivirent comme des oiseaux de malheur.

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